Vins de garde. Mode et mode d'emploi

10 janvier 2018
Muriel Ide
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En collaboration avec notre zin, sommelier/représentant, Jean-François Pelchat.


DÉBOULONNER QUELQUES MYTHES

1. Plus il est vieux, meilleur est le vin.

Même si on a retrouvé des amphores pleines de vins attestant la présence de la viticulture dans l’Antiquité, je vous assure que serait loin d’être buvable après tout ce temps. Pourquoi ? Parce que le vin est une denrée périssable, et que sa durée de vie varie selon plusieurs facteurs (taux d’alcool, matière, acidité, tannins, sucre résiduel, cépage, conditions de conservation, etc). L’intention du producteur y fait aussi pour beaucoup. Certains vins demandent de la garde, mais la majorité des vins produits dans le monde sont destinés à être bus dans les quelques années suivant la mise en bouteille.

Ça tient parfois du fantasme que cette idée de boire des vieux vins. On peut rêver de goûter à notre 40e anniversaire un vin qui a été produit lors de notre année de naissance. Cependant les vieux vins ne sont pas forcément meilleurs, ils sont certainement différents de ce qu’on boit habituellement, ce qui pour la plupart des gens est un vin dans sa prime jeunesse. Les jeunes vins sont souvent plus explosifs, sur le fruit, alors que les vieux sont souvent plus délicats, plus subtils. Leur couleur a évolué, les rouges perdent en couleur et passeront du violacé au rouge tuilé, les blancs gagneront en couleur pour prendre des teintes cuivrées, puis éventuellement brunâtres (il est souvent maintenant trop tard). Leur structure a changé, les tannins se sont fondus, l’acidité s’est tamisée, tout comme l’impression de sucre pour les vins liquoreux. Ils demandent des palais plus réceptifs et du temps pour les apprécier. Il en va de même pour les arômes qui sont souvent dans le registre des fruits séchés (figue, raisins secs), des odeurs de sous-bois (champignon, humus), de noix, de fleurs séchées, de gibier ou de cuir.

Déguster un vin âgé c’est comme s’offrir une balade avec sa grand-mère en forêt. Ça demande du temps, de la patience, d’accepter de se laisser-aller aux subtilités des arômes découverts dans le sous-bois en sa compagnie. Nous n’aurons peut-être pas la chance d’aller voir le point de vue spectaculaire en haut de la montagne, mais nous aurons peut-être vécu une expérience plus douce et méditative. Surtout, il faut apprécier l’expérience pour ce qu’elle est, sans attente préalable.

2. Le mythe du prix

Les vins de garde ne sont pas forcément les vins qui coûtent le plus cher. On peut garder des vins achetés à des prix fort raisonnables. Pour preuve, l’équipe réZin a dégusté un Château Bujan du millésime 1990 lors d’une visite au domaine et ça tenait la route, au sens qu’il offrait encore un plaisir et une expérience sensorielle enrichissante. Ce vin se vend plus ou moins 21 $ ici au Québec. Comme quoi le prix n’a pas grand-chose à voir avec le potentiel de garde.


EN VÉRITÉ, ON VOUS LE DIT.

On boit trop vite, on manque de patience !

Tous les vins (ou presque) vendus à la SAQ peuvent être conservés quelques années sans problème (#fiou, me voilà rassurée). On devrait même prendre le soin d’attendre quelques mois avant de les ouvrir. Pourquoi ? Parce que souvent leur mise en bouteille est trop récente. Cette étape cruciale afin d’amener un petit brin de terroir au consommateur représente un choc pour le vin et celui-ci a besoin de temps pour se replacer. Ajoutez à cela le fait qu’il vient peut-être de faire un long voyage en bateau et vous avez entre les mains un vin un peu tendu qu’il vaudrait mieux attendre quelques mois avant de déguster. C’est un constat que les représentants de l’agence font souvent puisqu’ils font déguster les mêmes produits des mêmes millésimes sur plusieurs mois et ils sont à même de constater l’évolution. Ce conseil est surtout vrai lorsqu’arrive sur les tablettes un nouveau millésime de telle ou telle cuvée. Bref, ça prend juste une petite réserve à la maison afin d’assurer la rotation. La taille de la réserve pourrait représenter votre consommation sur une période de 6 mois, par exemple (une bouteille par semaine = 26 bouteilles en réserve).

Vous voulez acheter des vins de garde pour souligner un événement (naissance, mariage ou autre), voici quelques conseils de Jean-François :

  • Choisissez-les adéquatement, n’hésitez pas à demander conseil. Par exemple, les vins blancs vieillissent souvent mieux que les rouges. Certains cépages comme le chenin blanc particulièrement bien, tout comme les vins de Bordeaux. Jean-François me confie qu’il a goûté un Cahors Les Laquets 2000 après 15 ans avec une grande satisfaction. Le vin se montrait même étonnamment jeune et aurait pu vieillir de nombreuses années encore.
  • Augmentez vos chances, acheter plus qu’une bouteille ; idéalement au moins trois. Ça vous permettra d’y goûter plus d’une fois et de rajuster le tir si l’une d’elles décevait.
  • Conserver vos bouteilles dans un endroit frais à l’abri de la lumière. Une vraie cave est préférable, car elle subit moins de variations de température ou de vibrations qu’un cellier électrique. Une bonne température serait autour de 12 degrés Celsius.
  • Coucher vos bouteilles pour éviter que le bouchon ne sèche (sauf si c’est une capsule à vis !)
  • Le grand jour, sortez la bouteille délicatement et gardez-la inclinée pour laisser le dépôt dans le fond du flacon (le cas échéant). Le bouchon pouvant être un peu sec, il faut y aller délicatement et avec un bon outil. Pour ce faire, il existe notamment des tire-bouchons à lame.
  • Décanter systématiquement le vin n’est pas recommandé, l’apport subit d’oxygène peut créer un choc fatal et le gâcher. Goûtez-le d’abord et avisez ensuite. 

Anecdote

Une des belles rencontres que Jean-François a faite avec une vieille bouteille, c’était en 2013, dans un bar à vins de la région de Bordeaux, en compagnie de Mathieu Cosse et de la tribu réZin de passage. Mathieu a commandé une grosse quille de Champagne Pommery 1947. Du jéroboam s’est écoulé un vin aux reflets brunâtres et, étonnamment, sans bulles. Il n’avait plus les attributs du champagne et pourtant, avec ses arômes de figue, de noix, de beurre, de caramel, sa texture suave en bouche, il offrit un très beau moment de contemplation. Il fallait simplement l’accepter comme il se présentait, sans l’idée de boire un Champagne et les attentes qui viennent avec.