C'est le mantra qui fait le vin

1 mars 2016
Jean Lapalme
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Il est de ces gens qui, comme ça, inopinément, sans tambour ni trompette, vous jettent trois ou quatre vérités au coin de la table comme si c’était la chose la plus naturelle au monde et, il va sans dire, sans la moindre prétention. Bill Easton est un de ceux-là.

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Le 10 février dernier, Bill Easton, vigneron dans les Sierra Foothills de Californie, Amador County, et fondateur des maisons TERRE ROUGE and EASTON WINES, était l’hôte du restaurant Hoogan et Beaufort ainsi que de réZin. Portrait.

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C’est donc dans la plus grande simplicité qu’il nous a fait part de son mantra (sans, bien entendu, utiliser le terme) : «Focused discipline (discipline et focalisation), limiting yourself (se fixer des limites), improving within.» (se bonifier à la faveur d’un processus interne)

Tout un programme! On a presque le goût de dire : «Tout un manifeste!». En effet, la triade de Bill Easton est en soi une feuille de route pour ne pas perdre son âme sur la voie de la placidité tant appelée par les grandes maisons.

Bill Easton est également ce que l’on pourrait appeler une force tranquille : grand gaillard qui fait au moins 6 pieds trois pouces (1,92 m). Nonobstant cette stature imposante, le «grand Bill» a commencé petit et entend le rester. Tout comme il entend rester fidèle à sa passion pour les vins qui expriment, le mot est de lui, leur «earthyness» en opposition à ceux qui brillent par leur «fruitness».

 

Des «vins de terre» plutôt que des «vins de fruit»


L’attachement de Bill Easton pour les vins de terre a des racines profondes; en fait, il remonte à l’époque où, étudiant à Berkeley en science politique et littérature, il travaille dans une boutique de vin. Sur les campus américains, c’est, grosso modo, l’époque de la lutte contre la guerre au Vietnam; culturellement, et tout particulièrement en Californie, on nage dans la camaraderie; économiquement, les grandes maisons vinicoles ne sont pas encore établies et la règle qui prévaut est celle de la «compétition douce».

C’est en 1978 que Bill Easton ouvre sa propre boutique; son béguin pour les vins européens ne fera que s’affirmer davantage; tant et si bien qu’il  se met en tête de faire des vins européens en sol d’Amérique. « Je voulais faire et vendre des vins dont le caractère s’apparenterait à celui des vins que j’aimais déguster et vendre! ». Sa vision de départ se raffinera également jusqu’à  vouloir affranchir son vin de l’industrie touristique, elle qui module au plus haut point les affaires en vallée de Nappa, voisine des Sierra Foothills et à peine à une heure de route au nord de San Francisco.

La région qu’il convoite, les Sierra Foothills et particulièrement Amador County,  est d’ores et déjà une région vinicole depuis quelque 80 ans; mais son développement a pour ainsi dire été inhibé par la prohibition (interdiction de fabriquer et de vendre des boissons alcoolisées) qui a sévi aux États-Unis au cours des années 1919-1933. Les Zinfandel et autres de la région en subiront les contrecoups.

Bien sûr, le négoce de Bill Easton aura appelé des voyages, notamment en vallée du Rhône. Une étude de la géologie des parcelles qu’il convoite, lesdites terres rouges de Amador County et des environs, appelle irrémédiablement un cépage : le Syrah.

Bill sait que la région bénéficie d’une belle chaleur diurne propice au murissement des fruits; il sait également que dans les Foothils, les vents froids ou frais qui  dévalent des sommets de la Sierra Nevada (11 000 pieds – 3 500 mètres) gratifieront le vin d’une belle acidité.

 

Commencer petit


Bill Easton a donc « commencé petit » : une barrique en 1985, deux en 1986, neuf en 1987; on expérimente, on teste, on goûte, on veut atteindre l’objectif sans compromission. Puis, en 1989, mille caisses; on fait un bond en avant. «Ça va bien et l’économie californienne roule à pleins gaz; ainsi va l’économie, ainsi va le vin», nous dit-il. Mais on reste modeste.

Tant mieux puisque la conjoncture va changer assez radicalement au tournant des années 2 000 avec l’explosion de la bulle des «start-ups» informatiques, également nommées «dot.com»; cette correction en bourse aura des effets assez délétères sur l’économie californienne. Bill Easton pourra cependant tenir le coup grâce à ses réseaux de vente déjà établis.

 

Aujourd’hui encore, on reste à une échelle toujours déterminée par les exigences combinées du terroir et de la fidélité à l’objectif de départ : TERRE ROUGE and EASTON WINES élève pas moins de trente vins, mais la plupart d’entre eux ne font pas plus que 100 à 400 caisses!