Le millésime 2012 avec un premier recul

1 janvier 2013
André Ostertag
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Moi, j’aspire à des vins que je qualifie de secs c’est à dire sans sensation de sucrosité mais à la chair gourmande et aux structures vibrantes.

Certes la récolte est inférieure d’environ 15% à une année normale mais elle est très prometteuse qualitativement. En effet les nombreuses petites baies millerandées ont permis un rapport peau/ jus très nettement supérieur à la moyenne ce qui renforce l’intensité gustative des vins et me rappelle de ce point de vue le millésime 2010. De plus ces deux années ont des précipitations annuelles très proches, 504,5 mm en 2012 contre 507 mm en 2010, ce qui en fait des millésimes secs. Ceci peut sembler paradoxal pour 2012, tant chacun aura gardé en mémoire la virulence d’un mildiou favorisé par une forte pluviométrie , mais bouleversement climatique oblige, la répartition des pluies a été chaotique et s’est surtout concentrée en Mai, Juin et Juillet avec 60% des précipitations annuelles tombées en la période la plus sensible pour les maladies de la vigne! Mais l’hiver et le printemps avaient été tellement secs que cette pluie était un mal nécessaire et sans doute bien moindre qu’une sécheresse qui se serait prolongée!

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Cependant les analogies s’arrêtent là car sur le plan thermique 2012 est très différent de 2010.

2010 reste à ce jour le millésime le plus froid des années 2000 avec 10°4 de t°moyenne annuelle tandis que 2012 en est l’un des plus chauds avec 11°1 de moyenne, due en partie à un hiver doux et à un mois d’Août chaud. J’ai tenté récemment une approche de la notion de millésime par la théorie des quatre éléments. Ce travail, qui a été présenté en décembre 2012 à l’Académie Internationale du Vin, est aujourd’hui consultable sur notre site internet en version complète ou en résumé. Vu par le biais des quatre éléments, 2012 a un tempérament Feu/ terre, c’est à dire plus sec que chaud, alors que 2010, qui a été plus sec que froid , se situe en Terre/ feu, soit l’inverse! Mais pour évaluer la différence gustative de ces deux tempéraments, il faudra encore attendre car en 2012 les fermentations sont bien plus lentes que d’habitude ce qui laisse même planer une incertitude quant aux dates de mise en bouteille. Ces difficultés fermentaires ravivent la question de l’élaboration de vins secs en Alsace.

Aujourd’hui, en Alsace, le plus grand défi est d’élaborer de grands blancs secs avec des raisins mûrs.

Je dis bien « raisins mûrs » et non pas élaborés avec des raisins récoltés avant l’heure et/ou chaptalisés!
Pour moi, un raisin est mûr quand ses pépins, c’est à dire ses organes reproducteurs, sont prêts à assurer la descendance car c’est là la fonction du fruit dans la nature. Et le fruit n’est prêt à être séparé de sa branche nourricière qu’à partir du moment où sa capacité reproductrice est pleinement atteinte, c’est d’ailleurs à ce moment là que la plupart des fruits se détachent et tombent. Un raisin sera donc mûr quand les baies se détacheront facilement et que les pépins seront bruns et lignifiés et auront un goût d’amande douce, et cela n’a rien à voir avec la maturité décrétée en fonction d’impératifs purement œnologiques. Même s’il est vrai qu’un raisin cueilli trop tôt ne posera jamais de problème de fermentation et aura forcément un degré d’alcool moins élevé qu’un raisin mûr!

Fermenter des raisins mûrs avec des levures indigènes est long et exigeant!

Est-ce du à une cinétique plus lente des levures indigènes par rapport aux levures industrielles?

En effet une fermentation indigène sera assurée par une succession de différentes levures qui vont agir les unes après les autres, en fonction du degré alcoolique du vin, alors qu’une levure industrielle sélectionnée pour son adaptation à l’alcool, sera l’unique cheville ouvrière d’une fermentation qui se fera alors le plus souvent au galop mais perdra d’autant en complexité. Ou est-ce tout simplement du au surplus de sucre naturel qui nécessite un temps de fermentation plus long? Toujours est-il qu’au domaine nos durées d’élevage s’allongent ; c’est ce qui est arrivé avec le Zellberg Pinot Gris 2010 embouteillé 2 ans après la récolte ou le Heissenberg Riesling 2011 toujours en fermentation. Ce qui nous rapproche des usages bourguignons et nous éloigne des élevages courts de notre sphère historique et culturelle qu’est l’espace rhénan. Et si à l’intérieur de cette sphère on reproche souvent aux vins alsaciens d’être trop sucrés en comparaison des vins allemands, nul n’évoque les durées d’élevage, les processus de clarification et encore moins les teneurs en sulfites ! Pourtant tous ces points impactent autant la perception finale d’un vin que son sucre résiduel, et d’autant plus dans un grand vin!

Mais il faut croire que la question des sucres aveugle tellement le débat qu’elle en réduirait presque la qualité d’un vin à une stricte analyse de ses sucres résiduels!

Pour nous, immuables partisans de vins secs, la notion de sec ne sera jamais du ressort de l’analyse chiffrée mais une question purement gustative où interviennent de nombreux paramètres dont l’acidité, la salinité, la chair, la texture,le toucher de bouche etc et dont la combinaison donne la tessiture « sèche / moelleuse » au vin.

Et seul un raisin dont les pépins sont mûrs permet d’ accéder à cette harmonie globale car c’est là l’unique indicateur d’une maturité achevée. Car un pépin vert n’est que le signe d’un raisin à la personnalité inaboutie, où le caractère végétal l’emporte sur le fruit , et qui au final marquera le vin de sa verdeur et de son acidité indigeste. Pour vous en convaincre, mangez un fruit immature et observez les réactions de votre corps… généralement il réagit plutôt mal et vous passez un sale quart d’heure! Et bien il en va de même d’un vin issu d’un raisin vert, votre corps vous le fera inévitablement savoir, et au lieu de vous remplir d’énergie, le vin vous pompera vos forces. Pour vraiment évaluer la qualité d’un vin, il faut savoir écouter le verdict de son corps, car en fin de compte c’est lui qui aura raison! Cependant de nos jours, pour atteindre cette qualité de maturité là, la plante va devoir concentrer davantage les sucres en raison d’une photosynthèse dopée par le réchauffement climatique. Voilà pourquoi les vins sont plus riches aujourd’hui qu’avant et du coup les fermentations plus difficiles!

C’est ce qui me fait dire qu’une vinification de grand blanc est de nos jours un art bien plus exigeant qu’une vinification de grand rouge!

Ici, au domaine, le blanc est devenu un marathon interminable qui nécessite une attention et un effort de longue haleine.
Le rouge serait plutôt un sprint intense qui demande un effort violent très vite suivi d’une période calme et sans grand risque. A durée d’élevage comparable, le grand vin blanc demandera toujours plus de présence et de suivi que le grand vin rouge! Pourtant le grand rouge reste immuablement plus côté que le grand blanc, mais par ailleurs le sprinteur Usain Bolt n’est-il pas une star planétaire alors que le marathonien ougandais Stephen Kiprotich n’est qu’un illustre inconnu alors qu’ils sont tous deux champions olympiques!

Il faut croire que l’époque n’a d’yeux que pour la vitesse…alors que mes blancs fermentent de plus en plus lentement! Mais l’essentiel dans le vin n’est pas d’être le plus rapide, ce serait même le contraire, non l’essentiel est d’atteindre ce point d’harmonie que chacun évaluera à sa façon.Moi, j’aspire à des vins que je qualifie de secs c’est à dire sans sensation de sucrosité mais à la chair gourmande et aux structures vibrantes. Généralement ce point d’équilibre est atteint lorsque, exprimés en gramme/litre, les sucres résiduels d’un vin n’excèdent pas de plus de 2gr son acidité tartrique totale.

Je ne recherche donc pas le sec absolu à tout prix mais plutôt un sec gustatif, et la patience et l’attention sont des vertus indispensables à cette quête.

L’Alsace produit sans doute aujourd’hui parmi les meilleurs blancs secs au monde alors que le monde peine toujours à le comprendre pour des raisons multiples et parfois bien obscures à saisir pour un alsacien. Mais trouvez-moi une région où la conscience environnementale est autant développée, où la rigueur fait partie du patrimoine génétique, où toutes les roches de la terre ont élu domicile, où les vins sont autant adaptés à la cuisine d’aujourd’hui? Alors il faut inlassablement continuer à le faire savoir car ici rien n’est jamais gagné, rien n’est définitivement acquis, ni la vigne, ni le vin, ni le commerce.


Seule reste la quête brûlante d’un idéal et l’espoir fou qui nous y pousse.»

André Ostertag, Vigneron – Janvier 2013