Vendredi Poésie: Le vin du bonheur

23 novembre 2012
André Ostertag
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Parfois, certaines années de gloire, le ciel retombe en enfance
et nous réjouit de quelques farces éblouissantes.
Ces années-là, la vigne s’agrippe amoureusement aux lianes
du soleil, telle une acrobate à son fil et quand arrive
l’automne, l’Alsace entière ressemble à une immense tonnelle
abritant de jeunes peuplades de raisins joyeux et drôles.
Il suffit de quelques brumes au petit matin, suivies
d’après-midi de grande lumière pour que monte de la terre,
ce chant unique et merveilleux des raisins heureux.
Dieu que la vie sait alors être belle!
Le Muenchberg grogne de plaisir, le Fronholz, d’habitude
si fier et retenu, se laisse aller à d’étranges roucoulements
tendres et la Cathédrale en rougeoye de bonheur, à en
être tous jaloux s’il n’y avait cette douce béatitude de
l’automne rhénan.
Commence alors un jeu subtil entre l’homme et le ciel,
un jeu fait de risques et d’instinct où l’homme se sent
comme un cerf-volant voguant dans les vagues du ciel.
Il doit savoir attendre, écouter la voix du vent, lire l’écume
des nuages.
Vertige du temps qui passe, du temps qu’il fait, qu’il fera…
apprentissage de la sagesse.
Et si l’homme sait se faire l’ami de la terre et de
l’eau, de la vigne et de l’air, si l’homme devient leur
confident, les raisins peuvent prendre un goût si fort, si
intense et si beau que leur sang perlé d’or contiendra toute
l’éternité du monde.
Et ce sang porté à nos lèvres, les yeux fermés pour
mieux voir, sera là pour nous rappeler longtemps encore
qu’alors nous étions heureux.

ANDRÉ OSTERAG, Vigneron Alsacien
extrait de La lettre du vigneron n°11 – novembre 1992